Opinion

Processeur : les Jeux sont Faits
par Erwan Barret (alias Wan John) [17.06.2003]

Après des annonces prometteuses, les quatre premières générations de PowerPC ont prouvé leur valeur en montrant leurs limites. Après le 601, censé faire tourner Windows aussi rapidement dans SoftPC qu'un processeur Intel, on a vu défiler les 603 et 603e, puis le 604. À l'excellent G3 qui a suivi a succédé un G4 en-dessous de ses possibilités, qui a aujourd'hui la tête sur le billot. L'éventuel redressement de la stratégie PowerPC d'Apple repose aujourd'hui entièrement sur l'éventuelle et prochaine annonce d'un Macintosh à base de PowerPC 970. Sauf surprise de dernière minute ou diversification anticipée...

Le G3 a été le premier PowerPC à marquer une véritable percée en termes de performances. Apparu en 1997, il est d'ailleurs toujours là six ans plus tard. Le G4 annonçait une percée similaire, mais la révolution attendue n'a été qu'une simple évolution. Le G4, c'est un paradoxe à lui tout seul : évoluant peu, montré du doigt, il continue pourtant à soutenir la comparaison avec une concurrence féroce aux énormes capacités d'investissement, pour peu que les applications concernées tirent parti de ses capacités de calcul vectoriel. Alors qu'Apple semble logiquement prêt à le lâcher, voilà que Motorola veut lui donner une seconde jeunesse en le dotant d'un deuxième noyau. Une évolution qui, à cadence égale, lui ferait rattraper son retard en calcul entier et en virgule flottante face à la concurrence. Pour le reste, il conserverait les capacités de calcul intensif qu'il possède déjà grâce à l'AltiVec, le moteur vectoriel qui fait du G4 un processeur incomparable, surtout au premier sens du terme. Mais à l'heure où le remplaçant du G4 et de ses prédécesseurs cogne à la porte, on en vient à se demander s'il faut espérer une puce qui cumule les avantages des précédentes, ou, au contraire, redouter que les erreurs passées en viennent à se cumuler.

Le MHz, entre mythe et réalité

Le PowerPC 970 d'IBM semble désormais promis à remplacer un G4 dont l'évolution patine. Malgré la frénésie de secret d'Apple, son probable partenaire Big Blue ne prend même plus de gants pour en parler, même s'il est trop tôt pour parler d'annonce. Après tout, pour le géant, c'est une petite revanche sur le passé. En effet, de l'union tripartite qui avait donné naissance au PowerPC tel que nous le connaissons, il ne reste qu'un couple à problèmes, formé par Apple et Motorola. Ce dernier ne perd pas pour autant toute influence sur l'avenir de ce processeur, puisqu'il est, avec Apple, le créateur et le promoteur du Velocity Engine (appelé AltiVec par Apple). C'est ce jeu d'instructions supplémentaires qui permet encore au G4 de donner le change sur des applications adaptées et gourmandes en calcul. Et c'est l'adoption de ces 162 nouvelles instructions qui avait poussé IBM à quitter le consortium lors du schisme. Argument alors mis en avant par le constructeur : il est inutile de sacrifier la simplicité d'un processeur RISC quand il suffit de pousser ses fréquences d'horloge pour obtenir des performances. Depuis, IBM a travaillé dans son coin sur ses propres moutures du PowerPC. Il semblerait que le géant ait rencontré plus de succès que Motorola.

L'enjeu du débat entre augmentation des fréquences d'horloge et adjonction d'un module vectoriel était énorme. Dès 1993, la société texane Exponential Technology se faisait fort de booster le tout jeune PowerPC "grand public", en sortant un produit compatible et apte à monter rapidement en puissance. Des processeurs à 1 GHz étaient prévus dès 1997, motivant une participation financière d'Apple et d'un de ses cloneurs les plus performants : Umax. L'histoire en a pourtant voulu autrement, puisqu'Apple a finalement pris le parti de Motorola dans le duel qui l'opposait à IBM. Depuis, les CISC x86, décriés à l'époque pour leurs bugs à répétition et leurs faibles perspectives de montée en cadence, ont mis tout le monde d'accord en fournissant puissance et précision à un prix raisonnable. Tout le monde a donc mis de l'eau dans son vin : Motorola, d'abord, plus préoccupé par ses soucis dans le domaine sinistré des télécom que par l'évolution du G4. IBM, ensuite, qui devrait bientôt présenter un PowerPC doté d'un Velocity Engine rejeté en bloc dans un premier temps. Et Apple, qui devrait bientôt pouvoir récolter le beurre et l'argent du beurre, avec un PowerPC à haute fréquence doté du fameux AltiVec. Si la recette est un succès, on ne peut qu'espérer que Steve Jobs mette un peu plus de retenue et de modestie dans les comparatifs entre les PowerMacintosh lorsqu'il recommencera à mettre en avant la puissance des machines Apple.

Prudence tout de même

Comme toute vedette trop attendue, le Power PC 970 est susceptible de nous réserver un caprice. Le G4 avait lui aussi démarré sa carrière en fanfare, mais il a montré dès son lancement des problèmes de montée en puissance. Depuis, l'offensive d'Intel sur le front des mégahertz n'a que trop bien marché. Une seule maigre chance pour Apple : encourager la communication des professionnels qui ne choisissent pas leur plate-forme pour faire des tests de rapidité du processeur mais en fonction du travail abattu à la fin de la journée. Ironiquement, les performances en calcul pur jouent relativement peu sur ce facteur, d'autant que les applications vraiment gourmandes en calcul sont en majorité compatibles AltiVec. Les énormes capacités de calcul des machines actuelles, toutes plates-formes confondues, ne sont mises en œuvre que sur certaines opérations, et ce n'est que sur des serveurs ou sur des clusters qu'on voit des machines tourner en permanence à 100 % de leurs capacités. Il n'empêche que pour l'acheteur, ce sont les chiffres qui concernent ces quelques opérations gourmandes qui rassurent sur la valeur et la pérénnité de l'investissement. Apple n'a donc pas d'autre choix que de monter en cadence pour plaire aux utilisateurs, et tant que le G4 restera le haut de gamme, Apple sera coincé dans ce carcan de lenteur médiatique. Le changement de processeur devrait donc sonner comme une délivrance. Apple sait faire et s'en est très bien tiré la première fois. C'est aussi l'occasion de se débarrasser au passage de Mac OS 9, qui a peu de chances de pouvoir faire démarrer la prochaine génération de machines, et de faire renouveler une bonne partie du parc installé par des machines plus véloces.

Il est pourtant inutile de paniquer. Le G4 est loin d'être un veau face aux Intel à très haute cadence, et l'utilisateur actuel n'a pas plus de raisons de s'inquiéter d'être à la traîne. Chaque nouvelle version de Mac OS X s'avère même plus rapide que la précédente, et ce sur des machines qui jusqu'à preuve du contraire ne gagnent pas en puissance en vieillissant. En fait, si l'on regarde un peu en arrière, la domination de l'une ou l'autre plate-forme n'est qu'un phénomène périodique bien connu : depuis une vingtaine d'années, Macintosh et PC font la course comme deux pilotes chevronnés, chacun marquant le pas quand s'amorcent certains virages qui ont pour nom PowerPC, Pentium II, ou encore Mac OS X. La prochaine ligne droite pourrait bien s'appeler PowerPC 970 et tourner à l'avantage d'Apple. Cette différence de puissance qui fait peur et qui annonce périodiquement la fin tant souhaitée d'Apple intéresse autant les médias que le trou de la Sécu. Point commun aux deux thèmes : il est presque trop facile de les relativiser. Qu'il suffise de savoir qu'une simple division suffit à ramener généralement à quelques jours de son fond de roulement le fameux déficit du système de santé français. Même pas besoin de division dans le duel entre Macintosh et PC : l'avantage de l'une ou de l'autre n'a jamais été suffisamment significatif pour ridiculiser l'autre.

IBM semble évidemment bien parti pour remporter le marché de remplacement du G4 et peut-être du G3, surtout depuis que la présence du Velocity Engine a été confirmée. Mais prudence : avec les PowerBook Aluminium, Apple a encore démontré au début de l'année sa capacité à surprendre tout le monde jusqu'à quelques heures d'une annonce majeure -voire même quelques heures après dans le cas de X11, présenté dans la plus grande discrétion. De plus, il pourrait bien y avoir plus d'acteurs que prévu sur la scène. Ainsi, la récente alliance entre IBM et AMD, même si elle n'a de sens qu'à moyen terme, va encore alimenter les rumeurs. Plus encore, compte tenu des tout derniers accords entre les deux fondeurs, rien n'empêche d'imaginer l'apparition d'un PPC 970 construit sous licence par AMD (déjà allié d'Apple pour la promotion du bus HyperTransport) dans des usines d'ores et déjà partagées avec IBM, lequel pourrait se concentrer sur l'évolution et le remplacement à terme de son processeur haut de gamme Power4. Si Big Blue arrive à se contenter de toucher les licences versées par d'autres constructeurs pour produire des 970 et fait en sorte de produire des MRAM pour les prochaines générations de serveurs IBM et de PowerMacintosh, tout le monde est content. Autant de pistes et d'informations qui ne peuvent qu'alimenter les rumeurs qui séviront jusqu'à la WWDC.

Le x86, une alternative stratégique

Quel que soit le choix d'Apple pour la prochaine génération de machines, les développeurs vont voir refleurir peu à peu dans ProjectBuilder les petites cases à cocher en fonction des plate-formes sur lesquelles doit tourner leur programme : G3, G4, PPC970 (ou un nom commercial qui sonne mieux, G5 par exemple...), et pourquoi pas x86. D'un point de vue pratique, c'est une piste absolument évidente, dans le sens où le travail de portage était déjà fait quand Apple a repris NeXT (ou le contraire, c'est comme on veut). Mais là encore, la relativisation est de rigueur : alors que NEXTSTEP a tourné sur PowerPC, il s'est écoulé plus de quatre ans entre le rachat de NeXT et la sortie du premier Mac OS X. Le véritable enjeu est purement stratégique : tout ce qu'on peut espérer dans l'immédiat, c'est que Marklar, si c'est bien son nom, continue à tourner quelque part dans un sombre laboratoire de Cupertino ou de Paris. Et Apple semble avoir tout à gagner en laissant ce probable prototype de Mac OS X pour x86 là où il est, tout en le faisant évoluer avec le plus grand soin. Tout en communiquant discrètement sur les atouts de Darwin pour x86, bien sûr.



La raison d'être d'un Mac OS X pour x86 est double : c'est tout d'abord une roue de secours absolument increvable. Steve Jobs n'est pas toujours objectif vis-à-vis de la concurrence, mais il n'est pas obtus non plus. De 1993 à 1998, l'actuel patron d'Apple a fait toutes ses démos de NEXTSTEP sur un PC. Et il n'a jamais été allergique à Intel : à l'époque des Cubes NeXT, l'accélerateur de l'énorme carte graphique NeXTDimension était l'excellent RISC Intel i860. Le discours de Jobs est donc déjà rodé s'il se trouve obligé de faire passer un jour la pilule x86 au monde Mac. Mais ce système constitue sans doute aussi le seul moyen pour Apple de prendre à Microsoft -et peut-être à Linux s'il connaît le succès attendu- une part de marché significative.

Apple garde toutefois avant d'en arriver là un atout majeur dans sa manche : une chance de renouveler l'exploit du passage au PowerPC. Sur ce point, sa stratégie doit être sans faille, car elle se heurte à un plan de bataille parfait côté Wintel, un couple qui n'a même plus à se soucier des lois anti-trust et anti-entente dans le contexte politique américain actuel. La recette est redoutable d'efficacité : dans l'entente cordiale entre Intel et Microsoft, chacun s'appuie sur le quasi-monopole de l'autre, tout en profitant d'une dynamique de concurrence tout à leur profit, en raison du nombre élevé de constructeurs et d'une offre extrêmement atomisée sur le marché des PC. Autrement dit, si les clients ne sont pas contents du monopole, ils peuvent aller voir ailleurs, car Wintel aura toujours des clients. Tout le contraire de la dynamique dans laquelle Apple est aujourd'hui enfermé. Mais si le plan PowerPC venait à mal tourner, Apple pourrait profiter à son tour de cette situation -et même en profiter à nouveau, si l'on tient compte de l'aventure de NEXTSTEP sur le 486 et ses successeurs. À l'époque, de grands constructeurs se sont montrés non seulement intéressés par NEXTSTEP, mais très actifs dans sa promotion, puisqu'ils ont signé des publicités vantant des machines puissantes avec NEXTSTEP pré-installé. On peut notamment citer des noms comme Dell et Compaq. Difficile de croire qu'Apple n'ait pas gardé dans sa manche une carte aussi forte que facile à dissimuler.

Le terrain miné du PC Apple

Imposer un nouveau système sur PC n'est ni simple, ni nouveau. D'autres sociétés ont déjà tenté la lutte frontale avec Microsoft : IBM, puis Be se sont tous deux cassé les dents en attaquant Windows sur sa propre plate-forme. L'un et l'autre avaient pourtant des produits prometteurs, mais sans l'image rassurante, faussement novatrice, faussement standard et vraiment hégémonique que véhiculait Microsoft. Sans ses pratiques commerciales, aussi, mais c'est un autre débat. Et s'il est un domaine dans lequel Apple a une carte à jouer sur ce terrain, c'est bien celui de l'image : la marque possède une notoriété suffisante pour égratigner notablement la part de marché de Microsoft avec un système d'exploitation pour x86. Tout simplement parce qu'Apple reste proche de l'utilisateur, et que cela se sait largement au-delà de la communauté Macintosh.




Bien sûr, la chasse des systèmes d'exploitation pour utilisateurs et encore plus pour serveurs est jalousement gardée depuis Redmond, car c'est de là que provient la majeure partie des revenus de la société. La seule rumeur de l'existence de Marklar est pour Microsoft une épée de Damoclès, une menace prise d'autant plus au sérieux que Linux se tient déjà en embuscade sur le même terrain. Le clone d'UNIX est le nouvel ennemi désigné de l'hégémonie de Microsoft, comme en témoignent les nombreux épisodes de sa guerre contre le logiciel libre, du lobbying à la désinformation en passant par l'amalgame avec le piratage et les prises de position dans le procès SCO. Un "Mac OS X86" basé sur FreeBSD (pas encore visé par SCO) serait assurément un ennemi d'autant plus grand pour Microsoft qu'à l'instar de tous les dérivés de BSD, Darwin et Mac OS X semblent pour le moment échapper à cette dernière polémique. Darwin pour x86 est déjà un pied dans la porte du PC pour Apple, et même avec un trésor de guerre comme celui de Microsoft, on n'a pas forcément envie de se battre sur deux fronts.

D'autres facteurs plaident aussi contre Intel et ses clones. En choisissant le x86, Apple ne serait pas la première société à franchir le pas : SGI, anciennement Silicon Graphics, a amorcé ce mouvement en 1998. Silicon Graphics prévoyait alors de migrer à terme entièrement vers la plate-forme PC, misant sur l'arrivée de Windows NT 5.0 (devenu Windows 2000) et du processeur 64 bits Merced d'Intel. Intel ne suivant pas, la conversion a traîné, et SGI, doté d'un gamme incomplète, a dû conclure une alliance avec son concurrent Intergraph, constructeur de PC à très hautes performances destinés au marché du graphisme. Pourquoi cette migration ? SGI était confronté aux insuffisances (tiens tiens...) des processeurs de sa propre filiale MIPS, qui équipaient ses stations de travail O2 et Octane, auxquelles les Pentium II et III taillaient des croupières.

Quand la décision fut prise de passer sur x86, SGI, pourtant bien placé sur le secteur de l'image de synthèse, a failli passer aux oubliettes de l'histoire des constructeurs. L'activité s'est alors recentrée autour des serveurs, équipés soit de Pentium III, soit de MIPS, les processeurs fabriqués par la filiale du même nom, propriété de SGI. L'abondon de ces puces, promis en 1999, n'a finalement pas eu lieu. Aujourd'hui, le constructeur propose des stations de travail sous IRIX ou Linux basées sur des MIPS 12000, 14000 et 16000 qui travaillent en 32 ou 64 bits. Aucun d'entre eux n'atteint le GHz. Quant aux logiciels, ils sont généralement disponibles aussi bien pour les versions 32 et 64 bits de Linux et IRIX (un cousin de Mac OS X, puisqu'ils sont tous deux basés sur BSD) que pour Windows NT. Il y a fort à parier que l'équipe dirigeante de Cupertino a très soigneusement appris cette leçon. Si on voit un jour un PC frappé d'une Pomme, Apple ne pourra pas se permettre de proposer une machine PC si elle n'est pas indiscutablement supérieure à toutes celles du marché.

Tirant parti de son image et de sa nouvelle étiquette d'acteur important du monde libre, Apple pourrait malgré tout choisir de chercher la confrontation avec Microsoft sur son propre terrain. Mais dans un tel combat, le poids lourd garde un avantage de choix : pour tout constructeur de composants ou de périphériques, il est vital d'écrire un pilote Windows efficace. Pour obtenir le même pilote, Apple doit négocier ou développer en interne, alors que Microsoft n'a même pas besoin de claquer des doigts. Ce problème serait un peu atténué si tout le monde se retrouvait sur le même processeur, mais Apple devrait continuer à mener une politique active de partenariat avec nombre de constructeurs. À moins qu'Avadis Tevanian ne déterre l'outil de développement de pilotes distribué un temps avec la version développeur de NEXTSTEP. Encore un outil révolutionnaire sous-exploité, qui ne demande qu'à reprendre du service. Mais que resterait-il au Macintosh si les machines devenaient presque identiques, et qui voudrait d'une plate-forme minoritaire face aux géants Dell et HP en ces temps de mondialisation ? Trop proche et en même temps trop éloigné de la plate-forme PC, plus cher que la plupart des clones car suréquipé par définition, le Mac x86 courrait le risque de se couper à la fois de son ancien marché et du nouveau. Ironie du sort, Apple précipiterait, en choisissant cette architecture, l'accession d'Intel à un monopole presque absolu.

PowerPC : des perspectives réelles

En jouant la carte IBM, Apple se ménagerait un ouverture énorme. En termes de puissance, d'abord, les Pentium et le PowerPC 970 ne jouant clairement pas dans la même cour. C'est du moins ce que les chiffres laissent espérer, surtout si Apple parvient à reprendre la tête dans la course à la bande passante interne grâce à de nouveaux bus. Si IBM sait tirer les leçons des erreurs de Motorola, le Power PC pourrait reprendre pour quelques années l'avantage sur le x86 en termes de puissance. Même en restant prudent sur le plan des performances, il semble que le processeur d'IBM offre des perspectives véritablement nouvelles à Apple, bien évidemment liées au passage en 64 bits. Si l'on obtient bientôt confirmation de ce qui n'est plus qu'un secret de Polichinelle, la nouvelle plate-forme n'arrivera pas seule : il lui faudra au moins une version provisoire de Panther pour pouvoir mettre en avant ses capacités en 64 bits, mais aussi des applications qui permettent de le faire.

Qui dit applications nouvelles dit aussi nouvelle mouture de l'environnement de développement, assurément l'un des points les plus importants de la prochaine WWDC. On pourrait y trouver, en plus du choix déjà évoqué des plate-formes de destination, le choix entre les compilations en 32 et 64 bits, et un éventuel mode mixte -équivalent des fat binaries compatibles 68000 et PowerPC. Il semblerait aussi douteux qu'IBM, après avoir dû retourner sa veste et consentir tant d'efforts pour inclure un Velocity Engine à son processeur, n'ait pas exigé d'Apple que les développeurs soient encouragés à en faire usage de manière beaucoup plus active qu'auparavant. Car malgré tout le bruit fait autour de ce composant, le nombre d'applications capables d'en tirer parti n'a jamais atteint le niveau espéré.



Un indice particulier semble encore jouer en faveur de la famille PowerPC : les déclarations de Steve Jobs en faveur des portables lors du lancement des nouveaux PowerBook, véritables piliers du Macintosh depuis l'apparition du tout premier modèle. À quelques ratés près, ils ont réussi un magnifique parcours, et ouvrent régulièrement la voie à l'ensemble de l'industrie. Ils ont en effet un avantage par rapport aux machines de bureau d'Apple : ils sont presque épargnés par les critiques de la concurrence. D'abord parce que lorsqu'ils sont débranchés, les portables PC se montrent en général beaucoup moins véloces qu'aux abords d'une prise de courant -alors que le ralentissement du processeur relève systématiquement d'une décision de l'utilisateur sous Mac OS. Ensuite et surtout parce qu'en raison de leurs cadences réduites, G3 et G4 permettent aux portables d'Apple d'afficher une autonomie insolente face à la grande majorité de leurs concurrents. Malgré tout, le vent tourne peu à peu, et l'avantage en autonomie des machines Apple tend à se réduire. Après le bond en avant des PowerBook G3, il est temps de voir se produire une nouvelle révolution de l'autonomie du côté de Cupertino. Révolution peut-être en cours et qui expliquerait bien des choses : si le très attendu remplaçant du Titanium et le premier Macintosh à base de PPC 970 ne font qu'un, l'Aluminium 15" cumulera les rôles de portable le plus puissant et le plus autonome du marché, grâce à un processeur plus rapide et encore moins gourmand que le G4. 2003 serait alors beaucoup plus que l'année du portable pour Apple.

Encore quelques points noirs

Inutile de s'emballer, cependant : le passage aux 64 bits est encore un pari, puisque nul acteur actuel de ce marché, que ce soit IBM ou AMD (et dans une moindre mesure Intel) n'a encore apporté la preuve de ses avantages réels. Si l'on excepte certaines applications à vocation essentiellement scientifique capables de tirer directement parti de nombres beaucoup plus précis, il est probable que la première application grand public de nouvelle génération ne soit pas encore née. Et même si le passage aux 64 bits s'avère payant, il faut espérer que l'émulation 32 bits soit parfaitement transparente : n'oublions pas qu'en mode émulation 68000, la première génération de PowerMacintosh souffrait de performances moindres que celles des Quadra et même Centris de l'époque, qui conservaient le 68040. Et qu'il a fallu deux ans pour que le passage d'un processeur à l'autre soit considéré comme définitif. Même si la rupture est ici moins forte, il n'y a pas de raison pour que le passage des applications au mode 64 bits prenne moins de temps que l'optimisation pour Power PC ou la carbonistion des principales applications du marché.

Autre bémol dans cette belle aventure des changements de processeur : rien ne garantit que le parcours à moyen terme d'un couple nouveau Apple-IBM (ou d'un ménage à trois Apple-NeXT-IBM, pour être plus précis) soit exempt d'obstacles. Il y en a déjà eu, à commencer par le fameux premier schisme du trio PowerPC, qui a séparé pro- et anti-Velocity Engine. Et si à l'avenir, un Xserve à base de PPC (Power4 ou 970) rencontre un succès significatif et vient marcher sur les plate-bandes d'IBM côté serveurs, que peut-il se passer ? Si l'on reste optimiste, les deux marques pourraient jouer la carte de la coopération, en proposant plusieurs plate-formes complémentaires pour leurs services respectifs. Mais ce ne serait le cas que si IBM lançait une offre véritable autour de Darwin, alors que son engagement actuel est plutôt en faveur de Linux. Ironie du sort, IBM connaît bien le système NEXTSTEP qui, sans un caprice malheureux de Steve Jobs, serait sans aucun doute devenu le système standard des PowerPC d'IBM dès la fin des années 80. Ces fissures passées et potentielles dans l'entente cordiale entre les deux anciens partenaires sont une raison suffisante de souhaiter que Motorola reste dans le jeu, que ce soit avec ses nouveaux G4 à double noyau ou une nouvelle version du G3. Apple ne peut pas se permettre d'oublier que sa situation actuelle est liée en grande partie à l'impossibilité de faire jouer la concurrence.

Le choix de l'indépendance

Confrontée à tous ces arguments, ainsi qu'aux positions respectives des différents constructeurs impliqués, l'équipe dirigeante d'Apple a déjà tranché. Obligée de continuer à y croire, la société continue à faire parler d'elle comme l'un des poids lourds de l'informatique, et montrera bientôt, sauf énorme surprise de dernière minute, de nouvelles machines de très forte puissance à base de PowerPC 970. Plus que jamais, elle adhère au raisonnement de beaucoup de ces constructeurs de second rang qui ont compris que quand on est fiable, on n'est pas obligé de se laisser dicter passivement les lois du marché. Après tout, il existe dans le monde informatique beaucoup plus que deux architectures, notamment dans le monde des stations de travail dont le Mac se rapproche -et dont son précurseur NeXT faisait partie. Toutes prometteuses, toutes liées à une clientèle fidèle et exigeante, ces stations ont deux points communs avec les machines d'Apple : leur part de marché est inférieure à 5 %, et leurs concepteurs ont compris qu'on n'a pas besoin de posséder 95 % d'un marché pour survivre.

Le PowerPC 970 est prometteur, et on souhaite de tout cœur qu'il tienne ses promesses. Il représente un choix stratégique majeur : si elle continue à éviter le choix du x86, Apple évite aussi une confrontation directe avec Microsoft sur une plate-forme minée par la guerre des prix. Et cela ne l'empêcherait nullement d'attaquer la plate-forme Wintel par trois autres axes : le logiciel libre, qu'elle soutient activement, les périphériques, iPod en tête, et enfin les services, puisque l'iTunes Music Store doit être proposé sur PC d'ici à la fin de l'année. Autant dire que les alternatives offertes à Steve Jobs pour le prochain acte sont plus nombreuses et plus vastes que ce que laisse entendre la presse généraliste. Cette même presse peu ou pas informée sur le sujet et qui va, à n'en pas douter, enterrer encore une fois Apple lors de la sortie de la nouvelle génération de machines. À moins que pour une fois, reconnaissant ses mérites et son rôle de pionnier ou même de cobaye systématique, chacun veuille bien enfin donner sa chance à la Pomme, et la laisser respirer un peu sur ce marché qu'elle fait bouger plus que tous les autres constructeurs réunis.

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